C’est à l’avocat général Jean-Louis Pérol qu'est
revenue cet après-midi la tâche de porter le fer contre Dominique de Villepin, et éventuellement de requérir la condamnation de l’ex-premier ministre pour « complicité par abstention ».
Rappelons qu’en première instance, le procureur avait requis 18 mois de prison avec sursis et 45.000 euros d’amende. Mais le tribunal n’avait passuivi cette demande, et Dominique de Villepin avait été relaxé.
Jean-Louis Pérol
Au terme de ce procès en appel, il est donc particulièrement intéressant de savoir si le parquet général
maintiendra sa demande de sanction à l’égard de l’ex-premier ministre.
L’avocat général revient donc sur l’infraction reprochée. "La complicité par abstention est une notion
juridique qui résulte d’une aide à l’auteur de l’infraction principale en toute connaissance de cause." En termes familiers, cela signifie : « il sert mes intérêts, je le laisse commettre
cette infraction. »
Jurisprudence : 4 arrêts de la chambre criminelle sont passés au crible. Dominique de Villepin manifeste
son ennui, la tête souvent tournée vers ses avocats ou soutenue par un bras posé sur le banc des avocats.
L’avocat général annonce qu’il va suivre un raisonnement en 3 séquences : en janvier 2004, « DDV » (Dominique de Villepin) acquiert la connaissance du contenu de la dénonciation ;
en mars, DDV apprend le nom de la source ; et en juillet, DDV a la confirmation qu’il s’agit d’une dénonciation calomnieuse, et ne fait rien pour l’empêcher.
Séquence 1 : janvier 2004. DDV est ministre des Affaires
Etrangères. Rencontre inopinée avec JL Gergorin. DDV aurait reçu une note sur ce système de corruption internationale à la suite de cette conversation. Dénégation de DDV. Le Général Rondot
maintient que la note a bien existé. Il la mentionne dans ses verbatim. Le nom de la chambre de compensation Clearstream a donc bien été prononcé. Or en 2002 une commission parlementaire avait
investigué et mis en avant l’existence d’une chambre de compensation luxembourgeoise au cœur de la corruption internationale ; un large écho avait été donné au rapport parlementaire. C’était
un fait connu. Dès que DDV a connaissance du réseau financier dénoncé par JL Gergorin, il demande une enquête secrète. Le nom de Nicolas Sarkozy a-t-il été prononcé ? DDV le nie. Mais les
instructions du Président du République sont évoquées (instructions générales anti-corruption) et la demande d’investigation adressée à Rondot est claire. Enseignements à tirer de cette
première séquence : JL Gergorin indique avoir accès a des mouvements financiers occultes dans une banque à la réputation sulfureuse. A cet instant, DDV tient peut-être les prémices d’un
scandale.
Séquence 2 : La garde à vue, le 25 mars 2004, d’Imad Lahoud. Ce dernier est trouvé porteur d’une lettre
qui le place sous l’autorité du général Rondot. Le commissaire appelle Rondot. Fureur de l’homme du Renseignement qui appelle à son tour JL Gergorin pour lui "passer un savon". Ce dernier
prévient son ami ministre. Et on a connaissance d’un appel impromptu de DDV à Rondot. Officiellement pour parler du terrorisme. Mais l’urgence était ailleurs. Faire libérer la source ? Le
général Rondot : « Je confirme, Mme la Présidente, qu’il m’a été donné l'instruction de sortir rapidement Imad Lahoud de ce mauvais pas. »
Conclusion : DDV connaît désormais l’identité de la source, il sait que la source fréquente les
locaux de garde à vue. Même ministre des Affaires Etrangères, DDV se préoccupe de le faire libérer...
Séquence 3 : le 19 juillet 2004. DDV est ministre de l’Intérieur. Il n’a jamais cessé de voir JL
Gergorin. Ce dernier parle d’une dizaine de rencontres, certaines publiques (remise de décoration) d’autres plus discrètes. (Sur son banc DDV fait non, non de la tête !). Il connaît
désormais la source, il sait que la dénonciation a été faite auprès d’un juge et par qui. Mais que sait-il de la fausseté des listings ? Le 19 juillet, le général Rondot lui dit clairement
qu’il a des doutes. Le 27 juillet, une conversation téléphonique avec le Général précise que les vérifications ont démontré que les comptes n’existaient pas. La DST, saisie, doit donner son
avis ; le 29 juillet , une note adressée au ministre nomme le corbeau. Le 22 sept 2004 : note de contact. Jean-Louis Gergorin est formellement identifié. DDV avait jusque là des convictions
mais pas de preuve (au sens de l'article 40). Désormais, il en possède, et pourtant deux
nouveaux listings parviennent au juge, souligne l'avocat général.
« On voit qu’un processus de dissimulation personnel et secret s’est mis en place dès le mois de
janvier. Même le premier ministre, JP Raffarin, n’a pas droit à une information complète début juillet. Le dossier passe du ministère des AE au ministère de l’Intérieur sans que M. Barnier soit
informé. Fin juillet, DDV pouvait tout arrêter et demander à Gergorin de cesser son processus de dénonciation calomnieuse. Il ne l’a pas fait. Au contraire, le 19 juillet, les notes de Rondot
sont détruites. La stratégie de la dissimulation se poursuit. Le 27 juillet, il continue de voir Gergorin. C’est vrai aussi en septembre, et en octobre. La dissimulation devient intenable fin
octobre, elle se transforme en inquiétude. Rondot est convoqué toutes affaires cessantes. C’est la fin de la dénonciation calomnieuse. »
Le Parquet Général s’apprête donc, après cette démonstration, à requérir la condamnation de
DDV.
« Comment la Cour pourrait-elle penser que celui qui a prononcé le discours au Nations Unis au moment de
l’Irak, que cette intelligence-là ait pu être bernée par M. Lahoud ? Entre Dominique de Villepin et J.L. Gergorin, il y avait une communauté
d’intérêt. Avec un cynisme appuyé, le professeur Nimbus suggère que si l’équipe rivale prend le pouvoir au sein d'EADS, elle va alimenter le clan d’en face. Des rétro-commissions qui
iraient dans la poche de son ennemi… »
L’avocat général précise le quantum des peines
demandées après avoir souligné la gravité des faits : la dénonciation calomnieuse a mis en danger un des fleurons industriels français, elle a mis a mal le fonctionnement de la
démocratie et atteint les victimes dans leur carrière professionnelle et dans leur honneur.
Voici ses réquisitions :
JL Gergorin : 30 mois d’emprisonnement dont 12 fermes et 45.000 euros d’amende.
I.Lahoud : 30 mois d’emprisonnement dont 15 mois fermes et 45.000 euros d’amende.
D. de Villepin : 15 mois avec sursis, pas d’amende.
Dominique de Villepin se lève, exaspéré.
C’est maintenant le temps des plaidoiries de la Défense avant une mise en délibéré et un jugement à l’automne
prochain.