Le procès Clearstream en appel entre dans sa dernière ligne droite, dans l’indifférence générale, totalement éclipsé par l’affaire Strauss-Kahn. C’est aujourd’hui l’heure du réquisitoire. Premier acte, c'est Dominique Gaillardot qui requiert contre Jean-Louis Gergorin et Imad Lahoud.
« Pourquoi cette déstabilisation ? On ne sait toujours pas exactement. Mais il faut souligner que cette manipulation s’inscrit d’abord dans des luttes de pouvoir industrielles. C’est la grille de lecture qui me semble la plus juste. »
L’avocat général lit consciencieusement son réquisitoire. Les deux prévenus notent sur des petits carnets la pluie de reproches qui s’abat sur eux. Il fait chaud dans la salle. Certains somnolent.
« Oui, il y a bien eu manipulation, et c'est une manipulation due au seul JL Gergorin. Et l'on constate une persistance dans la dénonciation, bien que leurs auteurs sont capables de voir les effets dévastateurs de ladite dénonciation. »
La mauvaise foi est un des éléments constitutifs de la dénonciation calomnieuse, démontre le procureur. Or, on constate ici l’absence de vérification : la fausseté des listings est un élément déterminant.
JL Gergorin, victime des agissements de Lahoud ? L’avocat général n’y croit pas.
Certes, Lahoud a une propension au mensonge inégalée, les débats l’ont montré à profusion - exemple : simulacre de pénétration du système Clearstream au général Rondot à deux reprises, rappelle l'avocat général. Il a une propension à se servir des autres. « Nous avons bien affaire à un escroc, un vrai ! » lance-t-il. « Il est directement impliqué dans la falsification des listings. Ne vous laissez pas abuser par sa posture de modeste prof' de math d’aujourd’hui. C’est un manipulateur, un affabulateur… »
Mais l’avocat général en vient à celui qui est selon lui responsable de cette affaire : l’ancien haut responsable d’EADS. JL Gergorin est désigné comme l’auteur des envois, il est le corbeau. Il est responsable non seulement des envois matériels, mais aussi de la conception des faux. Sa démonstration : JL Gergorin a pris l’initiative des envois. Lui seul a déterminé le contenu et la fréquence des envois. Ce sont des envois « spontanés ». Il n’y a été en rien contraint et forcé. IL était convaincant pour ses interlocuteurs car il exerçait de hautes fonctions à EADS ; c’est un stratège reconnu : il présentait de solides garanties de crédibilité.
L’avocat général développe sa conviction : pourquoi une telle manipulation ? Le contexte industriel : Delmas/ Forgeart, Camus/Gergorin, c’est le combat des chefs, le conflit à la tête d’EADS (Airbus/Lagardère). Cette rivalité donne le sens de cette affaire. Même l’ajout des noms de Nagy et Bocsa s’explique : il renforce la crédibilité des listings, car à cette époque Nicolas Sarkozy était censé soutenir le premier tandem. De plus, JL Gergorin est le bénéficiaire immédiat de cette mise en cause de ces hauts dirigeants : c’est bien une dénonciation calomnieuse…car au service de ses intérêts. « La mauvaise foi de "JLG" est évidente ! »
Longue démonstration du fait que JL Gergorin connaissait la fausseté des listings.
Puis viennent les éléments de personnalité : paranoïaque, obsessionnel ? Peut-être, mais grande intelligence et grande lucidité. Il avait des tendances à croire à la théorie du complot. « Les gergorinades » dit Philippe Delmas. Mais il est aussi capable d’en concevoir… « Ne vous laissez pas manipuler par le corbeau, même si il veut maintenant vous faire croire en sa bonne foi. Sans Gergorin, il n’y aurait pas d’affaire Clearstream ! » Il doit être tenu responsable de complicité dans la fabrication des faux. Il se pose en victime d’Imad Lahoud. Certes Lahoud est un manipulateur. Mais Gergorin n’est pas un simple naïf. Je vous propose de ne diaboliser, ni l’un, ni l’autre. Mais ne vous laissez pas abuser par la fable du corbeau qui voulait se faire passer pour un pigeon ! »