Nous sommes une semaine après le début du procès. Ce sont les témoins du contexte dans lequel s'est préparé le génocide rwandais qui sont convoqués devant la Cour d'assises de Paris. C’est d’abord Colette Braeckman, journaliste belge, spécialiste du Rwanda qui est appelée à la barre :
" En 92, c’est une solution au rabais qui est mise en œuvre par les Nations Unis. Mais lorsque le président du Burundi, un hutu, est assassiné par des Tutsis, la situation se radicalise. J’entends déjà des avertissements: l’officier français qui quitte le Rwanda prévient un militaire belge « Ici, cela ne sera pas une partie de plaisir » et puis en novembre 93, on me dit que le meurtre d’une 10 aine de casques bleus belges est programmé. Je découvre que les signes sont là : les extrémistes hutus ne veulent pas de la force d’interposition. En mars je rencontre le président Habyarimana. C’est un homme traqué, plus rien à voir avec l’homme jovial que j’avais connu. Le 28 mars 94 un séminaire pour la presse, belge et rwandaise est organisé par l’ambassade de Belgique. Les invectives pleuvent entre collègues rwandais. Les journalistes tutsis s’en vont rapidement avant la tombée de la nuit .Un seul confrère reste, nous allons prendre un verre. Il me dit "c’est notre dernier verre ensemble..". Le climat était extrêmement tendu.
Le 6 avril, deux missiles sont tirés sur l’avion du président Habyarimana. Il avait accepté de céder au multipartisme et d’intégrer le FPR au gouvernement. Interprétation des accords d’Arusha inacceptable pour les hutus radicaux.
Les massacres ont commencé. Ils étaient programmés".
C’est à ce moment que le président de la Cour d’assises recentre l’interrogatoire autour du rôle de l’accusé : « Simbikangwa ? Un nom cité souvent, connu comme quelqu'un d’important. Occupant un poste de confiance. Parce qu’il fallait donner des postes à l’opposition, il a du se sentir menacé. Il n’y avait plus de poste officiel pour lui et il en a surement conçu du ressentiment.
RTLM. Radio des mille collines dont l’un des créateurs et soutien financier n’était autre que Pascal Simbikangwa. C’était une radio privée, radicale. C’était une radio dangereuse même si elle était drôle avec une musique entrainante. Elle désignait déjà des cibles. Mais personne ne voulait entendre qu’il y avait danger. Les Etats-Unis ne s’étaient pas remis de leur échec en Somalie. Les grandes puissances ne voulaient s’engager. La Belgique a été en retrait parce que le sentiment d’impuissance dominait. Il n’y avait pas de réponse politique même si il y avait une possibilité militaire (Onu, Belgique, France...)
Dès le 7 avril 94, on a vu dans Kigali des « barrières » avec des cadavres dans les fossés. Et j’ai noté l’existence d’une organisation : des camions de la municipalité effectuaient le ramassage des cadavres. Les commandos belges étaient chargés de prendre en charge des civils blancs. Les familles mixtes étaient séparées à l’aéroport. Les récits des survivants déjà étaient terribles. Mais on n’a pas compris l’importance du génocide tout de suite".
Deuxième intervenant : Jean- Francois Dupaquier, journaliste, co- auteur du livre " Rwanda, les médias du génocide". Son témoignage commence par cette analyse: la haine ethnique, raciale était instrumentalisée par le pouvoir. Cette idéologie de la haine était présente au plus haut niveau de l'Etat.
"Avec Robert Ménard après le génocide, on a décidé d’envoyer une mission au Rwanda pour comprendre comment des religieux, des voisins, des époux ont pu se massacrer. On a étudié les stéréotypes véhiculés surtout contre les femmes. La matrice de la haine. Les femmes tutsies étaient des cibles. Je signale que Simbikangwa raconte dans "L’homme est sa croix" qu’ il doit commencer sa vie sexuelle par le viol d’une jeune fille tutsi. Un fantasme, un rite d'initiation.
Simbikangwa est un nom qui inspirait la terreur. On le surnommait le tortionnaire. Les démocrates Hutus survivants ont cité ses actes parmi les plus cruels,les plus redoutés.
Les archives de basse police servaient à nourrir la presse extrémiste. Le Journal kangura , produit à la demande de Simbikangwa était effrayant. Il prétendait par exemple que Mme Agathe Uwlingiyimana avait été violée à quatre reprises. La ministre de l’enseignement primaire et secondaire venait de supprimer les quotas dans les écoles entre enfants tutsis et hutus. La honte devait l’empêcher de poursuivre.
Ceux qui ont organisé ce génocide étaient très éduqués, très cultivés. Loin du cliché des sauvages qui s exterminent entre eux "
Enfin l’accusé Pascal Simbikangwa répond. "J’étais en 93 dans un bureau à la présidence. J’avais changé de service. La constitution de 93 a donné plus de pouvoir au premier ministre . Le journal Kangura a publié les dix commandements du Hutu et son rédacteur en chef a été sanctionné. Moi je ne me suis pas occupé du journal. Cela fait partie du complot contre mon innocence !
" Et les caricatures de l’époque qui vous représentent ? demande le pst des assises : elles sont publiés dans les journaux d’opposition dès 1992 ..
"Ce qui m’inquiétait c’est quand me désignait comme un membre des escadrons de la mort. Cela date de 93. On m’a accusé à tort. J’ai fait un procès et j’ai gagné !
"Contrairement à ce que mes ennemis racontent, j’ai dit que les accords d’Arusha étaient mal faits. Les tutsis qui avaient fait quatre ans de guerre, n’avaient rien obtenu. Le FPR préparait le chaos pour prendre le pouvoir par la force. Je voulais écrire un petit livre la-dessus, une centaine de pages. Je voulais montrer que les élections seraient difficiles pour le FPR. Dans la zone tampon, c’est le parti du président qui a tout gagné. Or ces élus ont été assassinés par le FPR".
Pourtant on ne vous reproche pas un livre, mais un éditorial qui a paru pendant que vous étiez en charge du journal Kangura ? demande le président: alors vous l’avez écrit ou non cet éditorial ?
Président, avocat général, parties civiles. La question sera posée et reposée. Mais l’ancien propagandiste se méfie. Il ne répondra jamais. Il sait que la Cour traque son rôle de bureaucrate de la haine. Il préfère rappeler ses lectures préférées, Rousseau, Hugo et Chateaubriand…, déclenchant le rire d’une partie du public. Ses démonstrations filandreuses auront duré plus de deux heures.